L’ÉPOPÉE POLAIRE

 

Il était une fois, dans le Grand Nord du Canada, des terres glacées et isolées habitées seulement par des animaux. Très rarement, on voyait des Inuits qui chassaient pour nourrir leur famille. Il n’y avait aucun autre humain. Mais, comme nous allons le voir, les animaux ressemblent parfois aux êtres humains.

 


Sur ce territoire, seulement quelques touffes d’herbes parvenaient à percer le sol durci par le froid pour dire bonjour au Soleil.  Celui-ci brillait de tous ses rayons. Malgré sa présence, Monsieur Soleil ne réussissait pas à réchauffer la terre, ni même le cœur des animaux. De l’est à l’ouest s’étendait à perte de vue un grand désert blanc. Les animaux se promenaient sur ce sol couvert de neige à la recherche de nourriture, allant de la grande forêt de sapin, au sud, jusqu’à l’océan rempli d’icebergs, au nord.

Parmi ces animaux, il y avait l’aigle qui habitait aux abords de la forêt. Celui-ci pouvait voler très haut et pendant de longues minutes. À cause de cela, les autres animaux l’enviaient et disaient qu’il était prétentieux et indépendant.  Ces paroles mettaient l’aigle en colère : « Cela me fâche que les autres disent que je me prends pour un autre et ne veulent pas s’amuser avec moi.  Je vais leur montrer qu’ils se trompent. » L’aigle réagissait mal.  Il volait en rase-mottes (près de la tête des autres animaux) et en profitait pour dire des choses pas très gentilles aux autres animaux : « vous êtes jaloux car je suis le meilleur et que je n’ai pas besoin de vous ».



Il y avait aussi un ours polaire. Les autres animaux disaient que ce lourdaud ne connaissait pas sa force et qu’il faisait mal aux autres, même quand il voulait seulement s’amuser. « Les autres me trouvent lent et maladroit alors ils viennent me voir seulement quand ils ont besoin de ma force. Cela ne me dérange pas car je n’ai pas besoin d’eux. » Mais, tout au fond de son cœur, l’ours sentait très bien que cela le dérangeait.

 

 

 

 

 

Le loup était plutôt solitaire. Les autres ne voulaient pas de lui car ils le trouvaient méchant. Il faisait souvent peur aux autres car il était fâché que ceux-ci rient de son apparence négligée. « Je vais rester seul et continuer à les repousser et à les menacer. Comme ça, même s’ils ne voient pas que cela me blesse, ils finiront bien par me laisser tranquille et je ne les entendrai plus. »

 

 


Quand on se rendait près de la mer, on rencontrait aussi la baleine et le manchot. Eux aussi étaient victimes de la méchanceté des autres. Inutile de vous dire qu’on se moquait de la baleine car elle était grosse et qu’elle ne pouvait jouer sur la terre avec les autres. « Pourtant, moi, je ne les insulte pas parce qu’ils ne peuvent jouer dans la mer. » Triste, elle s’approchait parfois pour arroser les autres.


Le manchot, lui, était tout petit et on le trouvait inutile. On le ridiculisait en disant qu’il ne servait à rien et que ses petites ailes ne lui permettaient même pas de voler. Le soir, il rentrait chez lui en pleurant car il commençait à croire que c’était vrai qu’il ne servait à rien. « C’est vrai que je suis inutile.  Je n’ai aucune qualité alors je ne peux rien apporter aux autres.  Je les comprends de se moquer de moi, ils ont raison. »

 

En fait, ces terres glacées étaient un bien drôle d’endroit. Tous les jeunes animaux jouaient ensemble mais se chicanaient souvent. Ils riaient les uns des autres, se bousculaient et se disaient des mots méchants. Chacun leur tour, ils étaient victimes des mauvaises blagues de leurs amis. Quand leur tour était passé, ils se joignaient aux autres pour rire et laisser tomber celui à qui on s’en prenait. Alors, comme la nuit suivait le jour, la colère suivait la tristesse dans un cycle sans fin. Voyant cela Monsieur Soleil décida, un bon jour, de laisser sa place au vent et aux nuages afin de servir une petite leçon aux animaux. Ceci afin qu’ils apprennent à se respecter et à voir ce qu’il y a de beau en eux.

 

Ce jour-là, pendant qu’ils étaient près de la grande mer aux icebergs, la tempête se leva. En quelques instants, un vent violent souffla pour glacer les animaux. Il emporta les nuages et la neige se mit à tomber. Il neigeait tellement qu’on ne voyait plus les alentours. L’aigle ne pouvait plus voler, alors il se posa près des animaux. Ceux-ci se rapprochèrent les uns des autres afin d’avoir moins froid, car ils ne pouvaient plus avancer. Cela faisait déjà une heure que la tempête faisait rage, quand on entendit un « crac ». Le sol avait commencé à bouger et il était déjà trop tard pour réagir. La glace où ils se trouvaient s’était détachée et s’éloignait de la banquise, emportée par le vent et les vagues. Notre amie la baleine essayait de repousser la glace vers le rivage mais elle n’était pas assez forte. Elle aussi fut emportée au loin avec l’ours, l’aigle, le loup et le manchot qui se trouvaient sur l’iceberg. Quand la tempête cessa, les animaux ne voyaient aucune terre à l’horizon. Ils se trouvaient loin de tout secours et bien mal pris.

 

« Nous devrons compter sur la collaboration de chacun d’entre nous pour regagner la terre ferme », dit le loup. « Ensemble, en misant sur les qualités de chacun, nous pouvons peut-être réussir à regagner la rive », rajouta l’ours.  L’aigle demanda à la baleine : « Emporte-moi le plus loin que tu peux. De là, je prendrai mon envol afin de repérer la terre. Je pourrai parcourir une plus grande distance avant de m’épuiser. » Le manchot plongea dans la mer maintenant redevenue calme. « Je vais ramener des petits poissons près de notre iceberg et notre ami l’ours pourra les tirer de l’eau avec ses grandes pattes. » Le loup proposa aux autres : « Je pourrais hurler de toutes mes forces dans l’espoir qu’on m’entende et que l’on nous envoie de l’aide. »   Chaque jour, l’aigle et la baleine revenaient bredouilles. Le soir, l’ours et le loup tenaient les autres au chaud en les abritant dans leur fourrure. Dans les moments difficiles, le manchot encourageait ses amis et les réconfortait : « Courage mes amis. Il faut continuer à travailler si nous voulons réussir. »

 

Il y avait déjà longtemps que durait leur mésaventure sur la mer de Beaufort quand, un jour, on entendit un hurlement en réponse à celui du loup. La terre était là, quelque part au loin. L’aigle s’envola pour évaluer la distance. Il revint plus tard en disant qu’il pourrait rejoindre la terre. Le manchot eut une idée. Il demanda à l’aigle : « Pourrais-tu te  rendre au rivage et  apporter quelque chose qui nous permettrait de tirer l’iceberg? » L’aigle revint quelques heures plus tard. Les animaux sur la rive durent confectionner un câble en tressant des racines. Il donna le câble à la baleine qui la prit dans sa bouche pendant que le loup mit l’autre bout dans sa gueule et planta ses griffes dans la glace. L’ours plongea derrière l’iceberg et se mit à agiter les pattes pour le pousser. La baleine tirait de toutes ses forces et le loup mordait la corde. Le manchot criait pour encourager ses amis et l’aigle volait au loin pour montrer la direction. L’iceberg avançait lentement et la terre grossissait à l’horizon. Après avoir mis leurs forces en commun et travaillé sans repos, ils arrivèrent sur la terre ferme, épuisés. Chacun fut accueilli par les siens et tous rentrèrent se reposer.

 

Le lendemain, le soleil se leva, brillant et chaleureux. Il savait que nos amis avaient maintenant appris à se respecter et à collaborer.  Il reprit sa place, haut dans le ciel, car cette épreuve avait été enrichissante. Les animaux, peu importe leur espèce, jouaient  ensemble. Ils savaient que  le respect des différences était possible. Aujourd’hui, l’entraide et la compréhension faisaient partie de leurs comportements. Maintenant, ils vivaient en paix car ils savaient que chacun a ses propres qualités.

 

 Parfois, ils se racontaient leur aventure. L’aigle disait à l’ours « Grâce à ta force et à ton endurance, tu as poussé l’iceberg. Ta fourrure nous a aussi protégés des nuits froides », l’ours rajouta « Oui, mais toi, tu as ramené le câble parce que tu pouvais voler loin et longtemps ». Le loup remercia la baleine : «  Seul un animal aussi gros que toi pouvait tirer l’iceberg comme tu l’as fait. Sans toi, nous n’aurions pas réussi ». Le manchot dit au loup : « Par ton cri, tu nous as permis de repérer la terre et c’est grâce à ta mâchoire puissante qui a tenu le câble et à ta fourrure qui nous a réchauffés que nous sommes ici tous ensemble ». Puis la baleine regarda le manchot  et prit la parole :  « Toi, tu nous as toujours encouragés  et réconfortés dans les moments difficiles, même si nous avions été méchants avec toi.  Merci beaucoup ! » Alors les animaux éclatèrent de rire et on entendit très fort : « Merci à nous ! »

 

 

 Maintenant, les animaux comprenaient la façon d’être de chacun, l’importance de compter sur les forces et les qualités de chacun plutôt que de s’arrêter à leurs points faibles. Il semble que cette histoire se raconte encore aujourd’hui sur ces terres, et même ailleurs, afin que d’autres comprennent et appliquent ce message.     

                      

 

FIN …